Les écoles françaises sont en crise – et cela n’a rien à voir avec la tenue vestimentaire des élèves | Rokhaya Diallo

SPeu avant la rentrée scolaire en septembre, l’Unicef ​​France a lancé une alerte selon laquelle près de 2 000 élèves étaient sans abri, soit deux fois plus qu’en janvier 2022. L’avertissement de l’ONU était opportun, car certaines parties du système éducatif public en France sont en crise – voire totalement dysfonctionnel. Pourtant, ce qui a fait la une des journaux, ce ne sont pas des défis aussi urgents, mais une controverse fabriquée sur ce que les enfants sont accusés de porter à l’école.

Dans un pays où l’extrême droite gagne régulièrement du terrain, les hommes politiques et les décideurs savent comment jouer sur la peur de l’islam comme moyen facile de mobiliser l’opinion publique et de se plier aux idées populistes. En témoigne Gabriel Attal, ministre de l’Éducation nationale, qui a fait de l’interdiction de l’abaya, la robe longue ample privilégiée par certains musulmans, sa priorité absolue pour la rentrée scolaire.

Il a demandé aux responsables du ministère d’inviter les médias à visiter les écoles susceptibles de se heurter au prétendu « problème de l’abaya ». Sa stratégie consistant à attiser le sentiment islamophobe pour détourner l’attention des problèmes qui affligent les écoles publiques semble avoir porté ses fruits. Les médias se sont largement concentrés sur cette histoire alarmiste, tandis que les étudiants des écoles et des universités entamaient un nouveau trimestre dans des conditions difficiles exacerbées par une canicule.

À Stains, l’une des villes les plus pauvres de la banlieue parisienne, le personnel d’un lycée s’est mis en grève, refusant d’agir comme une « police du vêtement » à un moment où, selon un communiqué publié, les salles de classe sont surpeuplées et le personnel manque au lycée. l’école signifie que 60 heures d’enseignement seront perdues chaque semaine.

Leur situation n’est en rien exceptionnelle, avec 3 000 postes d’enseignants non pourvus pour la nouvelle législature. À l’échelle nationale, la pénurie de personnel a entraîné une perte de 15 millions d’heures d’enseignement en 2020-2021.. Les vagues successives de réformes ont mis à mal la profession, qui a de plus en plus de mal à attirer de nouvelles recrues.

Pancarte de protestation contre l'interdiction de l'abaya dans un lycée de Stains, Seine-Saint-Denis, le 6 septembre 2023

Les salaires des enseignants de français sont systématiquement inférieurs à la moyenne de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Un professeur de français avec 15 ans d’expérience gagne moins de 40 000 €, soit 20 % de moins que la moyenne. En Allemagne, les enseignants en début de carrière gagnent deux fois plus que leurs homologues français. Pourtant, les enseignants français doivent faire face à des heures d’enseignement plus longues et à des ratios élèves/enseignant parmi les pires d’Europe. En conséquence, un nombre record de personnes quittent la profession.

En repensant à mon adolescence en banlieue, je sais que je n’ai pas eu les mêmes chances que mes contemporains qui fréquentaient les lycées urbains ou les écoles privées. Pourtant, l’enseignement a toujours été une profession respectée. Ce n’est plus le cas.

Pour combler le déficit de personnel, le gouvernement a lancé en 2022 un programme visant à recruter des enseignants « contractuels » (par opposition au système de titularisation standard, dans lequel ils sont considérés comme des enseignants « contractuels »). fonctionnaires ou fonctionnaires). Ils ont reçu une formation de quatre jours, bien qu’ils n’aient souvent aucune expérience d’enseignement préalable. Comme on pouvait s’y attendre, beaucoup d’entre eux ont arrêté dans les six mois, faute de formation ou de supervision adéquate.

L’enseignement public en France est l’un des plus inégalitaires du monde développé : les écoles des zones les plus pauvres manquent tellement de ressources que le système éducatif cimente les inégalités. Les étudiants des quartiers les plus pauvres sont touchés de manière disproportionnée par le manque de personnel. En 2018 Fabien Gay, sénateur pour la Seine-Saint-Denis au nord-est de Paris – la région la plus pauvre de France, avec la plus forte concentration d’immigrés – a cité des preuves devant le Parlement de ce qu’il a qualifié de politique de « discrimination géographique de la part de l’État ». .

Gay a souligné le fait que les postes d’enseignant vacants dans la région étaient moins susceptibles d’être pourvus que partout ailleurs dans le pays. La pénurie d’enseignants fait que chaque élève de la région perd, au cours de sa scolarité, l’équivalent d’une année complète d’enseignement.

L’État dépense moins pour l’étudiant moyen en Seine-Saint-Denis que pour ses homologues des autres quartiers de la capitale. Cette injustice perpétue un cycle de désavantages. Ces districts ont la réputation d’être « difficiles » et ne peuvent donc attirer que des enseignants relativement jeunes, inexpérimentés et se situant au bas de l’échelle salariale. Les enseignants les plus expérimentés se dirigent dès qu’ils le peuvent vers des écoles plus prestigieuses situées dans les quartiers les plus riches de la capitale. Résultat net : les étudiants les plus pauvres, souvent issus de familles immigrées, sont toujours les plus touchés par les carences du secteur.

Il n’y a pas que les enseignants qui partent. Avec une pénurie de superviseurs, de conseillers d’orientation, de médecins scolaires et d’infirmières, entre autres, il est pratiquement impossible de fournir aux élèves les services de soutien scolaire dont ils ont besoin. La défenseuse indépendante des droits de la France, Claire Hédon, a averti l’année dernière que le manque de personnel qualifié et d’infrastructures adaptées signifiait que près d’un quart des enfants handicapés ne vont jamais à l’école.

Le ministre français de l'Éducation, Gabriel Attal, à la sortie d'un conseil des ministres à l'Élysée à Paris, le 13 septembre 2023.

En termes de réussite scolaire, l’éducation française fait l’objet d’une préoccupation internationale depuis près de deux décennies. Année après année, selon une étude de l’OCDE, c’est l’un des pays de l’UE où l’origine culturelle et socio-économique a la plus grande influence sur les résultats d’apprentissage. L’école française reproduit les inégalités sociales, empêchant les élèves les plus défavorisés d’échapper aux conditions d’injustice dans lesquelles nombre d’entre eux grandissent. .

Il n’est donc pas étonnant qu’à mesure que les écoles publiques se désintègrent, les familles les plus aisées se tournent vers l’enseignement privé. L’actuel ministre de l’Éducation, nommé en juillet après une remaniement, n’a aucune expérience directe du système scolaire public. Comme beaucoup de membres de la classe politique et intellectuelle, Attal a fait ses études à l’École alsacienne, une école privée d’élite de Paris. Les cinq meilleurs collèges (collèges) sont privés. Pourtant, les écoles payantes reçoivent également des financements publics, ce qui soulève des questions sur l’investissement national en faveur des enfants qui en ont le plus besoin. Ces institutions privées effectuent une sélection sociale et éducative, transférant les plus grands défis vers le secteur public.

Le débat central sur l’éducation nationale est un choix de société : voulons-nous vraiment valoriser l’éducation de tous les enfants de la même manière et respectons-nous ceux qui ont entre leurs mains l’avenir des enfants ?

Christine Renon, directrice d’une école maternelle en Seine-Saint-Denis, s’est suicidée sur son lieu de travail en 2019. Selon un courrier qu’elle avait adressé à la direction de l’école, elle était « épuisée ». Elle a ensuite détaillé les lacunes et les ressources insuffisantes d’une organisation laissée pourrir. Cette tragédie aurait dû inciter les autorités à une profonde réévaluation. Emmanuel Macron, dont le gouvernement ne parvient pas à maîtriser la taille des classes depuis 2017, s’est engagé l’année dernière à faire de l’éducation une priorité pour son deuxième mandat présidentiel. Un an plus tard, la plus grande idée de son nouveau ministre de l’Éducation est une mesure superficielle susceptible de porter atteinte aux droits de l’homme – sans autre raison, semble-t-il, que d’attiser la controverse.