Ni tolérance ni répit : comment la différence religieuse fut traquée au Moyen Âge

Quand on pense au Moyen Âge, on imagine volontiers des chevaliers en armure, des troubadours et des châteaux forts… Mais derrière ces images se cachait une réalité autrement plus sombre : la lutte sourde (et parfois bien bruyante) contre la différence religieuse. Ni tolérance, ni répit : retour sur plus de cinq siècles où la diversité de croyances a été sévèrement traquée en France.

Des Juifs en Gaule : premières communautés minoritaires

Dès le premier siècle de l’ère chrétienne, sous l’accompagnement musclé des cohortes romaines, les premières communautés juives s’installent en Gaule. Elles laissent au fil des siècles des traces dans de nombreuses cités antiques. Ces tout premiers Français d’adoption – façon de parler – traversent les âges, tant bien que mal.

Après les invasions barbares, leurs conditions de vie fluctuent : sous les Mérovingiens, ils connaissent des périodes de mauvais traitements, mais l’horizon s’éclaircit parfois chez les Carolingiens, avec des centres d’études hébraïques dynamiques à Paris, Troyes, Rouen ou Narbonne durant le Haut Moyen Âge. Cependant, difficile de s’installer durablement : canons de conciles, réglementations, condamnations et expulsions rythment la vie des communautés. L’église catholique, dès les origines, cultive une judéophobie latente. Bref, rien de réjouissant, mais pas encore d’éradication « à la mode Inquisition ». Les préoccupations de la monarchie capétienne, à ce stade, regardent ailleurs…

La question cathare : petit manuel d’extinction de l’hérésie

À partir du XIe siècle, le projecteur de la défiance religieuse se tourne vers les cathares, aussi appelés albigeois. Ce n’est plus la coexistence avec la « différence » juive qui préoccupe ; la France médiévale voit surgir, au cœur même de sa chrétienté, des doctrines dualistes issues d’Iran, passées par l’Anatolie et l’Europe, qui trouvent un terreau favorable dans des régions d’échanges comme la Champagne et le Midi. Toulouse devient la plaque tournante des mouvements hérétiques, même si c’est Albi qui donne son nom à ces nouveaux indésirables.

Le phénomène n’a rien d’anecdotique : ce sont parfois des évêques qui, quittant le droit chemin, embrassent ces positions « différentes » à l’intérieur même du christianisme. Cela fait désordre, d’autant que les foyers hérétiques s’organisent, deviennent puissants et homogènes.

  • Répression immédiate au Nord dès le Concile d’Orléans en 1022
  • Défense officielle et répétée lors de nombreux conciles (Reims 1148, 1162, 1163, 1179, 1184…)

Comme le roi Philippe Auguste a d’autres chats à fouetter et que le comte de Toulouse Raymond VI n’a pas l’intention de collaborer, l’Église, pragmatique, sort l’artillerie lourde : la Croisade. Cette armée féodale, emmenée par Simon de Montfort, va s’emparer du Sud-Ouest entre 1209 et 1218, sans réussir à éradiquer totalement l’hérésie (décidément tenace, la différence religieuse).

En 1224, Louis VIII tente de poursuivre le combat, mais l’histoire hésite entre conquête et traité jusqu’à l’annexion du comté de Toulouse en 1271. L’Inquisition, invention papale, sera le dernier coup de massue : confiée aux frères prêcheurs, elle traque les cathares jusque dans leurs derniers bastions, comme Montségur, où la tragédie se finit dans les flammes en 1244.

Un retour aux sources : le judaïsme traqué à nouveau

Après la parenthèse albigeoise, retour à la cible initiale : la minorité juive. À partir du XIe siècle, leur sort se détériore, fluctuant selon les régions et les bonnes (ou plutôt mauvaises) humeurs seigneuriales.

  • Accusations de meurtres rituels à la fin du XIIe siècle, conduisant à des exécutions
  • Assignations à résidence dans des quartiers spécifiques
  • Expulsions répétées, humiliations vestimentaires sous Saint Louis (bonnet pointu et rouelle jaune en guise de « fashion statement »… à l’époque, pas de Fashion Week !)
  • Période noire du XIVe siècle : guerres, peste, accusations d’empoisonnement de puits, massacres et expulsions régulières jusqu’en 1394

Afin d’échapper à ces persécutions, les juifs fuient vers des territoires plus tolérants, comme l’Alsace, la Lorraine, la Provence ou le Comtat Venaissin (Avignon restant sous tutelle papale jusqu’en 1791 – là aussi, on prenait son temps !).

Au gré des rattachements de provinces au royaume de France (Dauphiné XIVe-XVe siècles, Provence 1481-1486), les juifs réintègrent progressivement le territoire. Ceux expulsés d’Espagne en 1492 trouveront asile dans le Sud-Ouest, passant sous le statut d’« étrangers » selon un décret d’Henri II, leur statut restant indéfini. Le même Henri II, généreux dans ses annexions, rattache les évêchés de Metz, Toul et Verdun, intégrant la population ashkénaze de Metz et autorisant des communautés à Paris – fondement d’un nouveau noyau juif parisien.

Conclusion : de la traque à la trace

De la Gaule romaine aux drames de Montségur, des expulsions répétées aux croisés galvanisés, la France médiévale s’est illustrée par une gestion intraitable de la différence religieuse. Tour à tour visées, les minorités juives et les cathares ont connu interrogations, exclusions, violences et brimades. Une histoire qui, loin d’être linéaire, révèle la difficulté constante d’un État et d’une Église à accepter la pluralité. Et si méditer cette mémoire pouvait aujourd’hui nourrir un autre rapport à la diversité ?…